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le maquis de bir-hakeim

par Claude Noguès

Je m'appelle Claude Noguès.

 

Il y a 70 ans de cela, vivait un autre Claude Noguès : c'était mon oncle. Il était né à Paris en février 1926 d'un père maître d'hôtel, Jean Noguès et d'une mère receveuse des postes et originaire de Meyrueis, Hélène Nazon. C'était leur deuxième fils, l'aîné étant mon père, Roland Noguès.

 

Des portraits de Claude, très rares, que m'en ont fait mes proches, il ne me reste que le souvenir d'un enfant joyeux, d'un jeune facétieux, plein d'énergie, extrêmement bavard (les commentaires des professeurs l'attestent), peu intéressé par l'école mais, comme l'a dit un jour mon père, totalement omnibulé par les filles de Meyrueis ! Il est vrai que dès 1940 et l'occupation de Paris, Claude et mon père furent envoyés chez leur grand-mère maternelle, Félicie. En espérant qu'en Lozère, la vie serait moins rude qu'à Paris et que les privations seraient moins nombreuses.

 

Pendant un certain temps, mon père et mon oncle eurent une vie, aussi normale que possible, d'adolescents à la campagne.Malheureusement la guerre n'était pas loin et elle les rattrapa très vite.En 1943, mon père refusa le service du travail obligatoire. Il s'enfuit, intégra la résistance et  franchit la frontière espagnole. Claude suivit tout cela de près, tant qu'il le put. Avait-il une certaine admiration pour son frère ? En était-il un peu jaloux et voulait-il absolument suivre son exemple, personne ne le saura jamais, mais une chose est sûre, rien ne lui aurait fait louper l'occasion de rejoindre la Résistance, qui se présenta ce dimanche 21 mai 1944.

 

Ce jour-là, le maquis Bir-Hakheim était sur le Mont Aigoual. Un petit groupe de maquisards fut envoyé à Meyrueis pour récupérer des vivres et des armes. Ces hommes étaient semble-t-il assez têtes brûlées et affectionnaient les coups d'éclat. La discrétion n'était pas leur credo. Aussi, lorsqu'ils arrivèrent à Meyrueis, tout le village le sut très vite et tout le monde voulut voir ces fameux maquisards. Ils brisèrent le portrait de Pétain à la poste, désarmèrent les gendarmes et récupérèrent du matériel au chantier de jeunesse, où ils appelèrent les jeunes à les rejoindre.

 

Claude, lui, déjeunait tranquillement avec ses grand-parents. Avant de sortir, il mit sa chemise préférée et alla rejoindre ses amis dans la rue. C'est là qu'ils rencontrèrent les maquisards. Personne ne sait ce qu'ils leur ont dit. Personne ne sait ce qui a pu se passer dans la tête de Claude mais en quelques instants fut prise la décision de rejoindre le maquis.

 

D'après la lettre écrite par mon arrière grand-mère, Claude rentra comme un fou à la maison, prit quelques affaires et leur dit qu'il partait avec les maquisards. « Je vais essayer une semaine ! » leur a-t-il lancé, et il partit, avec son meilleur ami, Fage. Je ne sais pas quelle part de patriotisme, de désir d'aventure, d'envie de vivre intensément fut à l'origine d'une telle décision mais je peux imaginer l'excitation, l'adrénaline, l'enthousiasme qu'ils ont dû ressentir lorsqu'ils prirent place auprès des maquisards dans ces véhicules qui les remontaient vers le mont Aigoual. J'imagine aussi la détresse et l'angoisse de mes arrières grands-parents voyant partir leur deuxième petit-fils... Cette semaine unique parmi les résistants, fut certainement intense, riche, instructive, exaltante mais je ne pense pas qu'elle ait pu vraiment le préparer à ce qu'il allait devoir affronter le 28 mai...

 

D'après les témoignages, mon oncle prit part au combat de La Parade avec courage et fit ce qu'il put jusqu'au bout... Jusqu'à ce qu'il se retrouve seul, coincé, sans adulte plus expérimenté pour le guider, jusqu'à ce qu'il prît la décision avec d'autres compagnons, de se constituer prisonnier... Soulagé peut-être que le combat prenne fin... Malheureusement, le pire l'attendait...

 

Il fut comme tous les prisonniers envoyé à Mende, dans les locaux de la Gestapo, torturé toute la nuit, fusillé à l'aube... « Je vais essayer une semaine ! » avait-il dit... Peut-on imaginer ce que fut son angoisse, sa détresse, sa douleur ?... A qui, à quoi a-t-il pensé tout au long de ces heures qui ont dû durer une éternité... ?

 

Ce n'est que fin juin, début juillet 1944 que ma famille fut avertie et put prendre connaissance des circonstances de la mort de Claude. Imaginez l'angoisse qui fut la sienne pendant tout ce temps... Imaginez le choc et la douleur de mon arrière grand-mère qui d'ailleurs, mourut deux ans après, et de ma grand-mère, qui pleurait alors un enfant disparu dans des conditions épouvantables et se mourait d'inquiétude pour un autre dont elle ignorait où il se trouvait et s'il était encore en vie.

 

Après avoir remué ciel et terre, ma grand-mère retrouva la trace de mon père. Il avait  combattu auprès du général Leclerc et avait été grièvement blessé. Il était convalescent à Meknès et tentait de se reconstruire. Il fut informé de la mort de son frère en août 1945. Je devais naître quelques mois plus tard.

 

On me donna le nom de Claude.Claude, dont ma grand-mère ne put jamais prononcer le prénom, évoquer la mémoire, sans s'effondrer en larmes et souffler entre deux sanglots : « Mais comment peut-on être aussi barbare ! » Elle garda jusqu'à la fin de sa vie, bien rangée dans son portefeuille, la photo, prise en gros plan, du visage tuméfié de son fils, torturé et fusillé à 18 ans... Quant à moi, je découvris l'existence de cet oncle et de sa fin tragique dès que je fus en âge de comprendre, mais jamais on ne m'imposa le souvenir pesant de ce mort. Jamais mon père, ni ma grand-mère ne me racontèrent en détails ces moments douloureux. Ce n'était pas une époque où on parlait beaucoup... Néanmoins, porter le nom de mon oncle fut symboliquement fort, et souvent je me suis dit que, quelque part, je vivais la vie qu'il n'avait pu vivre, celle qu'il aurait dû vivre... Et si je suis venu vivre ici, il y a 44 ans, sur ces terres du Causse Méjean, ce n'est peut-être pas tout à fait par hasard...

 

Claude Noguès

questionnaire administratif de 1862

rempli par M. Bondon, instituteur à Saint-Pierre

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