C'était il y a très longtemps. C'était au bord de la Jonte, du temps où les maisons de la rivière étaient habitées. La maison des Couvertières appartenait alors à la famille Fabié, et, plus bas, se trouvait une autre maison qu'on appellerait bientôt la maison du Mauvais Riche, car son propriétaire était avare et peu charitable.

Or il arriva que chaque jour, passait par ces chemins un mendiant très misérable et qui demandait l'aumône. Plusieurs jours de suite il frappa à la porte du Mauvais Riche, mais celui-ci le renvoyait violemment. Le mendiant sans dire mot reprenait son chemin, et le lendemain refrappait à la porte. Durant six jours, le Mauvais Riche le renvoya, le menaça, l'insulta, et le mendiant repartait tête basse.

Mais au septième jour, alors qu'une fois encore il était chassé, le mendiant murmura "Tu l'auras voulu", et s'éloigna.

Il remonta jusqu'aux Couvertières, et frappa à la porte. Ce fut la femme Fabié qui lui ouvrit. Il vit qu'elle était pauvre et qu'elle n'avait pas d'argent alors il ne lui demanda qu'un peu de pain.
- Hélas, lui dit la femme, je n'en ai pas car la pâte est encore dans le pétrin.
- Alors donne-moi de la pâte, dit le mendiant.
Et la femme lui donna un peu de pâte.
Le mendiant sourit et la remercia.
- Tu es bonne, lui dit-il, alors suis mon conseil. Rappelle tes enfants qui sont près de la rivière, et restez dans ta maison jusqu'au coucher du soleil. Tu entendras un grand bruit mais ne t'inquiète pas, vous ne risquerez rien.
Et le mendiant partit.

La femme suivit ce conseil et rappela ses enfants, et jusqu'au coucher du soleil ils restèrent à l'abri dans la maison.

C'est alors en effet que soudain, un énorme fracas se fit entendre, et la terre sembla trembler. Par les fenêtres la nuit parut tomber, et une épaisse poussière forma comme une brume solide. La femme apeurée attendit un moment que revienne le calme. Et sortit, suivie de ses enfants.
Un gigantesque rocher s'était détaché de la falaise, et avait écrasé la maison du Mauvais Riche. C'est ce rocher qui borde toujours aujourd'hui la Jonte, et qu'on appelle le Rocher du Mendiant.

Cette histoire a été racontée au grand-père de Gaston Castan par le dernier survivant de la famille Fabié, ancien combattant de la guerre de 1870, qui la tenait lui-même de son arrière-grand-père.